lundi 28 juin 2010

cheval

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C'est bien et mal
comme une force électrogène
qui mène sans arrêt
le train
et nos bagages
quand nous cherchons des gares et des bas-côtés
les yeux flottant dans la gaze grise des villes inversées

et rien qui nous fasse descendre en marche ou même tomber
par une fente (qui s'ouvrirait) dans le flanc juste une seconde
juste pour soi pour le laisser glisser et naître
celui qu'on est
qui vaut de vivre.

debout un peu sonné et seul
meurtri par cet événement
faire adieu de la main au point rouge qui s'efface
dans sa vitesse d'enfer.

être oublié être une personne
au bord de la clairière avec le cheval au cou arqué.

et commencer la marche
sur les cailloux bruns dans l'odeur de fer
et de campagne intime, dans l'humidité montante
le dévoilement d'une partie de l'été : colza fluo, maniaquerie des [poteaux.



mardi 22 juin 2010

T.G.V III

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Quand je roule en arrière, la nuit
chaque lumière semble aller à regret
vers l'avant du temps
et la nuit referme ses deux mains dans un geste doux, sans fin
pour tenter de la saisir, sans fin.
la nuit de charbon aux arêtes luisantes, d'obsidienne
quand chaque goutte de lumière coule à l'horizontale
dans les replis les cheveux noirs
des heures.

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Il y a la lumière du jour luisant sur tes eaux et remontant
aspirée par l'éclat des franges, des trous et des éclats de nuée.
Il y a cet oiseau gris au flanc de la forêt, dont le vol escalade
[la muraille verte.
Et l'arrière des murs, au dessus des talus
et la bourrache, plumeuse et mauve.

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Structures boulonnées suspendues et peintes en brun ou gris, filins
tunnels lépreux - arcs en plein cintre incrustés de suie
la chanson qu'on aime se mêle aux annonces du bar en voiture 4
aux acacias dans les petites gares qu'on effleure - où es-tu
sur la surface de la Terre ?
comme ces espaces que je parcours, qui se jettent à l'envers dans
[le passé
un amour survole, rasant
les vergers engloutis de clématite.

jeudi 17 juin 2010

T G V II

Dans le monde ferroviaire, la sortie des villes se fait par l'envers des immeubles, des rues, des magasins.
Crépis, réduits grillagés, hauts murs borgnes, lucarnes de WC, tags en frise, éblouissants, partout.
Un bouquet de lignes d'acier qui s'écartent reflétant le ciel blanc, l'architecture métallique et vieillotte qui les surmonte, et le long de votre flanc, coulant à votre hauteur, les glissantes voies rapides pleines d'autos alignées, enfilées, mouvantes, si nombreuses et à peine entrevues, comme menées par rien, comme vides.
Et puis ces terrains vraiment sauvages de terre retournée, déversée en longues buttes rectilignes, parcelles de végétation entièrement confiée au hasard, où personne jamais ne se risque.
Plus loin, sur un monticule d'ordures dressée contre le ciel pâle, une silhouette humaine occupée à quelque ramassage, tri

mais peu à peu on sort, c'est la campagne.


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jeudi 3 juin 2010

dans la forêt lointaine

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tu descendais la rue petit, regardant
les yeux des enfants ont une façon liquide d'entrer dans les trous
(noir, oiseaux, feuilles) – et ce chemin qui te conduisait au milieu des choses
appuyées,
appuyées contre l'humide brun des corps d'adultes.
Le matin (et même quand il faisait encore nuit)
tu allais vers l'orée de ce qui ne viendrait que plus tard,
descendant la pente courbe de la rue, sur le trottoir inégal,
sous les tilleuls ronds et soumis :
il y a un bourgeon grand comme l'enfant entier, une enveloppe serrée d'écailles qui tient le corps si solidement, si violemment
prêt à l'éclatement
mais qui est à l'intérieur
miel d'une poisseuse réalité en attente.
comme leurs corps bientôt se déferont, se reformeront
avènement des odeurs
signant dans chaque creux le printemps de l'âge adulte
et dans une nouvelle façon de regarder, de discriminer : tel humain, non pas tel autre.

Tout cela en germe dans ton petit visage, tes yeux d'eau, et cet acte si simple et répété : descendre la rue chaque matin, m'attendre devant la grille, les groseilliers à fleur.

Ainsi nous agissons, menés et libres
à chaque instant de notre vie.

mercredi 2 juin 2010

CAEDERE

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Tu peins
comme si l'air peignait
tenait le long pinceau
posait la couleur épaisse
et aussi prenait la pose de ce corps nu écroulé
sur le lit devant toi
comme si tu peignais l'air qui m'entoure,
son silence,
sans m'avoir jamais vue.

Comme si l'air qui entoure ton bras était fait d'autre chose
que cette essence de la fatigue
qui fait la vie
qui fait descendre la chair
quand on est allongé,
quand on dort,
quand on se tient debout et droit
nu.

La chair descend vers la terre
comme les feuilles sèches
jonchant ton jardin négligé
l'architecture d'herbe vivante
d'arbustes
et la lumière à travers tout
pour atteindre l'enfant
bouche accrochée au sein
vieillard
aux yeux de vague.

La chair forme les murs de ta maison,
déjà ton ossature
parle d'une voix forte
et s'oppose, s'arrache
Tu peins la gravité tout descend
tout est à demi-détruit
à demi-jaillissant
érigé.
Comme les longues feuilles vernissées et vertes
jaillissent au dessus de l'enfant
dormant à demi-nue
dans la lumière immobile.

Tu exténues ceux que tu peins, pour que la vie descende
rouge et lourde dans leurs pieds, leurs mains
leur sexe découvert
pour qu'ils oublient qu'ils sont nus
oublient leur honte d'être ainsi faits de chair cachée, blême
et mortelle, sexuelle
aussi mortelle que le bout desséché des feuilles
au dessus de l'enfant dormant
aussi mortels que ces choses émouvantes
à demi-détruites
de la décharge derrière ton jardin
Aussi radieuses que ces cheminées parfaites
orange et dressées
contre le ciel gris.
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Lucian Freud