mercredi 2 juin 2010

CAEDERE

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Tu peins
comme si l'air peignait
tenait le long pinceau
posait la couleur épaisse
et aussi prenait la pose de ce corps nu écroulé
sur le lit devant toi
comme si tu peignais l'air qui m'entoure,
son silence,
sans m'avoir jamais vue.

Comme si l'air qui entoure ton bras était fait d'autre chose
que cette essence de la fatigue
qui fait la vie
qui fait descendre la chair
quand on est allongé,
quand on dort,
quand on se tient debout et droit
nu.

La chair descend vers la terre
comme les feuilles sèches
jonchant ton jardin négligé
l'architecture d'herbe vivante
d'arbustes
et la lumière à travers tout
pour atteindre l'enfant
bouche accrochée au sein
vieillard
aux yeux de vague.

La chair forme les murs de ta maison,
déjà ton ossature
parle d'une voix forte
et s'oppose, s'arrache
Tu peins la gravité tout descend
tout est à demi-détruit
à demi-jaillissant
érigé.
Comme les longues feuilles vernissées et vertes
jaillissent au dessus de l'enfant
dormant à demi-nue
dans la lumière immobile.

Tu exténues ceux que tu peins, pour que la vie descende
rouge et lourde dans leurs pieds, leurs mains
leur sexe découvert
pour qu'ils oublient qu'ils sont nus
oublient leur honte d'être ainsi faits de chair cachée, blême
et mortelle, sexuelle
aussi mortelle que le bout desséché des feuilles
au dessus de l'enfant dormant
aussi mortels que ces choses émouvantes
à demi-détruites
de la décharge derrière ton jardin
Aussi radieuses que ces cheminées parfaites
orange et dressées
contre le ciel gris.
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Lucian Freud

2 commentaires:

Nath a dit…

Je découvre à pas petits et comme en retenue, votre écriture...je me suis arrêtée sur ce texte, et avant d'y revenir plus tard, je vous dis comme cette écriture est somptueuse, incisive aussi...j'aime beaucoup...je reviendrai...

Claire a dit…

merci Nath. je me rends compte peu à peu combien m'aide l'appui sur une oeuvre étrangère, comme l'exploration de la vision de quelqu'un d'autre ouvre cette magie qu'on appelle l'inspiration.