mardi 28 juin 2011

sillage

...

sans titre


.




Comme figées dans les ronces deux roues, un essieu
sous la pluie et dans le souvenir des virages
l'haleine des villes sans bord, l'enfant courbé
depuis la dernière fugue, dont on perce le secret

tu as trouvé une couleur hésitante, un long horizon
la nuance du dévers des vagues sur le sable
pur, l'écume en dessins mouvants
d'arcs posés sur le miroir, flous et tremblants

fugaces - ton pas interrompt leur recul et tu t'adosses
à la voix criarde des oiseaux derrière toi,
tu lèves les yeux. D'autres se libèrent
- dans le même temps que toi - de la nuit, l'impossible nuit.

mardi 10 mai 2011

il faut être seul

.


j'ai vu tes armes
longtemps après que tu les aies posées
quelque part - ce n'étaient plus les tiennes, elles étaient seulement là, derrière un mur. Les armes existent plus
que ce qui les entoure,
que l'espace où elles pèsent :
une couche mêlée de poussière et de cailloux.

ce lieu indifférent
où, avant que tu ne les y laisses
rien n'avait été vu par moi ni par personne
sauf peut-être par celui qui avait construit le mur,
regardé en partant l'ombre brune diagonale
que le soir y découpe.

ainsi n'est pas l'ombre
qui s'étend à tes pieds, dans des parallèles grises
avec les troncs des arbres proches, les hampes,
perdues dans la douceur sans fin des herbages en été,
au printemps.

oui, et surtout ton ombre est ronde
sous la table, et presque noire,
à midi le venin du bourdon ne menace rien.

L'ombre de tes armes est entièrement cachée.

Menace seulement tes armes - dans leur ombre
la rouille qui naît
de l'humidité des orties, du mur blanc.

dimanche 10 avril 2011

arbre

.




.



 
Acacia fait d'arbre, aux cuisses disjointes,
plus debout que moi dans l'air du soir d'or
à mi hauteur de ton violent tronc dansent
les si petits moucherons.
Moi qui suis assise en dessous
les yeux sur toi je te fais mes adieux
les yeux sur ton écorce je ne te verrai plus.
tout en haut, pas encore masqué
ce nid que les pies ont abandonné
en mars.

Je vois avec quel oubli tu livres
au dessèchement tes branches basses
avec quelle ardeur tu disjoins
dans les ciel tes cuisses,
tes branches
maîtresses.

Dans la perfection du ciel de ce soir
où tu étends tes doigts si nombreux
sont aussi assises
toutes mes choses à jeter
tous les murs que mon regard atteint
et leurs fenêtres

et tout est à perdre, ici et là.

vendredi 1 avril 2011

Encre

.


le ciel et l'eau n'ont plus de limite ils s'étendent
transparents et
sans couleur

là, une ligne fine et froide qui serre :
l'interface entre l'eau et l'air
je suis la ligne de mes pas
je m'enfonce.

il y a l'écriture des algues
spirales posées n'importe où
il y a l'épaule noire et la tête
sortant à peine de l'eau

à être ainsi seule
je me vois grandir
dans cette heure faite pour me contenir

et je l'emplis entièrement, errant
juste à la limite des eaux

dont l'horizontalité s'élève
écran pâle
d'un jour sans règle.

l'arrêt du soir est suspendu,
proche du coeur.

la ligne à haute tension passe au dessus

.


Le long des grands fils tendus, lentement gouttent
les eaux de pluie, que personne ne voit
tandis qu'elles tombent et sitôt s'infiltrent
dans chaque motte terreuse, mouillant les arêtes pâles
des silex. La pluie répète et toujours descend
et dure ainsi le jour entier, le soir,
le début de la nuit, puis s'arrête.
Les longues portées des fils semblent prises
dans l'obscurité, nul animal ne fait entendre
le moindre cri ou bruit. Limites, buissons blottis
dans la nuit sombre, portant l'explosion silencieuse
de leurs feuilles - mille petits poings vert acide.
Moi j'ai glissé en esprit le long
de ces fils ténus, abritée sous un parapluie
gris, je portais de grandes bottes. Mais loin
de cet endroit-là, sous une autre ligne
qui lui ressemblait, sur un coteau plus rond
de terre calcaire - la pluie tombait plus fort
et j'avais presque froid.
En quel endroit
sent-on ainsi le souffle doux du temps,
sans vent ?



les long

lundi 28 mars 2011

tristesse, comme une assise : I

 
la pluie a cessé mais les routes
brillent comme des rivières,
avec leurs pointillés et leurs signaux.
entre la plaine et les blancs écroulements des nuages,
les phares allumés des motos
étrangeté luttant contre le jour
Je vais bientôt cesser ces allers et retours.
la vie est sans mot......
ce que j'avais saisi entre deux doigts,
et que je relâche,
poussière bleutée, toucher de talc
va de nouveau son chemin
souffrant ou pas dans le point du jour.

Depuis que je cherche une maison j'en ai vu de nombreuses,
et dans chacune imaginé une tristesse différente.
La beauté de la tristesse me saisit entre deux doigts,
mais je vais toujours vers un autre endroit, je vais.
La diversité de la vie pèse de tout son poids
sur mon corps assis.

II :

.


emporté hier encore une trace sur le dos de la main,
et sans préjudice aucun, perdue.
il y avait cette sensation ténue, les ailes
dont la verticalité est saisie entre les doigts
sans volonté de garder.

ce qui n'est pas destiné à la possession
reprend sa progression hasardeuse
hachée et miroitante
vers le fond du jardin, où on a été invité.
il y a la douceur supérieure à toutes celles qu'on a connues
de la poussière bleu froid entre le pouce et l'index,
il y a ce qui a commandé
quand même ce geste de chasseur ?

dimanche 13 mars 2011

fruit

.

c'est le point de fusion - au centre
de la forge - dans la montagne
où règne l'odeur du métal, si proche de celle du sang.
Une sphère
pourpre au fond de la forge obscure
qu'elle emplit tout à fait,

dont elle ne se retirera pas
de toute la nuit, veillant
sur l'immobilité refroidie sur l'arrêt du travail.


comme au fond du noir en soi,
au fond du volcan éteint (cône
pesant sur l'horizon) il y a
ce lieu intime qu'on n'atteint
qu'en dormant.

de cette matière brute tirer une forme
un objet clou grille ou rambarde.


là où gronde le grand danger
de destruction et les états de la matière
absolument hors de tout - chaos,
furie, fusion.

comme le noyau rougeoyant en soi
dans sa chaleur qu'on ne peut
ni retenir ni connaître et qui
nous assied parfois de force, au bord du vide.

matrice fluide des émotions, manque, déverse-toi
- cercle laqué,
s'élargissant.

et métal, comme une eau luisante,
atteins le point le plus bas
pour t'assombrir.
 

(ça faisait des semaines que je retournais ce poème dans tous les sens sans arriver à quelque chose........Je le poste...et voilà qu'il prend une étrange allure prophétique, tout à fait involontaire. C'est assez sinistre)




(KOOLHYDRAAT 2 ; d i v) 

trop présente pour l'évoquer

.

c'était possible au fond d'un grenier froid
ou sur des routes très droites,
mais je l'ai perdu de vue.

c'était un tableau :
un chevreuil mort qui ouvrait l'oeil
sur son lit de feuilles beiges -
des chênes au dessus
et la lueur d'un vert si faible
descendant sur son front à l'aube,
quelque chose à côté du corps couché.

ou un jardin -
où je l'ai vu lové, se glissant
dans la forme du pétale
pourpre tombé d'une table en fer.....
on ne saurait pas dire d'où vient
cette lueur noyée dans le soir

ni
qui était dans le buisson
qui avait cessé d'errer,
qui était en repos ?





vendredi 18 février 2011

vers

.




.......Tandis que le soir tombe sur les longues lignes de peupliers,
sur le fleuve traversé de ponts et de bancs de cailloux, coulant sous son interface infranchissable, son miroir, tandis que nous traversons le pays.
Allant vers où nous allons, à la vitesse que nous y mettons, les vibrations, et nos regards toujours déjoués par l'effacement du paysage.
Se crée un tube bleu sombre où le train bientôt s'engloutit, où nous nous endormons. Et le désir joue une musique dans ce basculement, cette hâte que nous ne ressentons pas, ce temps perdu. Les rêves sont comme des cailloux flous qu'on laisse filer en arrière, qui voyagent sur un autre bord du monde, vers d'autres lignes d'arbres, d'autres talus. Qui passera plus tard, là où je suis si souvent passée ?
Où je n'aurai plus à passer, quand je serai arrivée.




.......Que montres-tu, danseuse, tes mains ainsi cachées sous les bras, frileuse ? Tu as passé l'après-midi à errer dans le bois, manches de soie flottantes, d'un vêtement usé que traverse le froid du début de printemps. Tu erres, d'une allée tu t'enfonces dans le sentier, semblable aux arbres toujours mouvants, de creux en embranchement ; tu choisis. Plus rien ne règle les mouvements de ton corps assoupli, obéissant, plus rien ne s'impose.
A la fin, fatiguée, tu parviens au bord d'un champ, et tu t'assieds sur le tronc d'un hêtre, les mains posées. Fine écorce grise dont tu perçois les reliefs. Ton regard se noie vers le haut de la colline, si ensoleillée, puis part au delà.



.......vers rien
mais alors, rien.


.......Ils sont au travail à ciel ouvert, ils frappent régulièrement, et l'air mat rend les coups, comme la cupule géante d'une main - ainsi avancent-t-ils dans le décompte des jours, dans la saignée qu'ils tracent.
Ils restent dans cette fente blanche et pelée, ouverte entre les épaulement des forêts, et qui descend lentement vers la rivière : la rivière lestée de vase, mais profonde, bordée de pins où le vent se lève.
A travers la vallée elle charrie leurs jours, et ce chagrin qu'ils secrètent, si isolés, comme les derniers représentants d'une peuplade. Il frappent, ou scient, le bleu de la coupole du ciel chante en réponse, voix voilée et répétée.
Les troncs glissent, atteignent le bord de l'eau. Puis ils descendront en longs trains flottants, jusqu'à l'endroit où ils seront débités.

........Un passage d'un film, l'histoire de deux soeurs dont l'une est "folle" et l'autre "normale": leur rencontre avec des hommes pas forcément recommandables, dont l'un s'approche en fin de soirée de la soeur "sage", après qu'ils aient partagé des merguez, pas mal de bière et quelques joints.
Il y a ce moment où il enlève sa veste et la pose sur ses épaules à elle, parce qu'elle a froid. Par ce geste, la façon dont il le fait, ce qu'ils disent ( "il faudrait que vous y alliez maintenant"/ "oui, on y va") il la fait entrer quelque part, se penchant lui aussi sans plus d'hésitation dans l'aura des corps, le mélange. L'un et l'autre se détendent d'un seul coup (et son geste à lui en a été l'ouverture, sous la protection de cette enveloppe, qu'il lui prête) et glissent
hors de soi.

lundi 31 janvier 2011

entre

.




.....quelque chose dans les espaces virtuels, entre les troncs gris et serrés des bosquets coiffant les collines, leur similitude qui fait qu'on ne les regarde pas, qu'on ne les sépare pas du tout et pourtant chacun vivant pour sa propre part.
.....Ce qui ne sépare pas la couche de terre arable de la roche, l'espace qui n'existe pas car elles se diluent l'une dans l'autre. Cet entre-deux. La profondeur de sol sans lumière qu'explorent les racines quand elles descendent, fissures, fines expériences tâtonnantes, où la vie installe des avant-postes, mène des colonies de cellules éclaireuses. Transparence de microns, parois fragiles, logique d'eau. Et temps autre, pas de pensée.
.....L'hiver qui ressemble à ce mouvement de reptation parce qu'il n'y a pas d'émotion visible, que tout est comme de l'eau aveugle. La peur de cette eau froide descendue à son point le plus bas, et qui s'est arrêtée, attend sous la glace des flaques.
........quand on sera en petits morceaux, ce ciment qui ne les reliera plus et l'irruption de la grande séparation. L'union qui se défait et le monde du dehors reprenant ses droits, d'autres vies glissant des doigts qui nous écartent.
Alors glisser dans la fente.

dans

.



...dans ce corps habitant la moitié masculine du monde. La pliure des jambes, les muscles des loges postérieures, la circulation de l'énergie nerveuse au moment du saut, la sensation au moment où elles s'allongent, se détendent. Mais aussi celle des épaules qui se développent, bras à l'horizontale, et aussi ces mains, longues. Vivre absolument tout, juste une journée, pour savoir.

.....l'eau froide quand on boit. Remonter le flux qui la porte, le tube d'où elle vient. Remonter, l'esprit attiré comme un poisson minuscule et glacé, sa pure unité, tandis qu'elle emplit - dans le même temps - toute la cavité de la bouche, le haut de l'oesophage pour un court instant sensible et vivant, et juste une seconde, tout l'esprit.

.....dans la pénombre d'une chambre, voir seulement le bord d'un lit sur lequel repose un corps endormi.
La jambe et le coude gauche d'un corps endormi, dans un relâchement complet, sur la surface horizontale du matelas et des draps froissés. Chambre silencieuse à part la respiration.

.....la fin d'une journée, les ombres allongées, ombres qui semblent s'enfoncer dans la matière vaporeuse et douce des graminées sauvages, sur les talus. Ou un petit matin laiteux, l'odeur de l'air juste avant les moissons, comme en attente.

.....aller très vite sur le large ruban d'asphalte (à cette heure teint de brun rouge). Etre entière dans les gestes des bras, qui suivent avec nonchalance chaque virage, parce que la route est déserte ou presque, des doigts à peine posés. Un léger parfum d'église flotte, un encens qui serait tiède et personnel.

....ailleurs : tout s'est éloigné. Il est inutile d'en appeler à un visage, à un regard, à une voix. Le regard a glissé et s'est posé en dehors du tableau, du cadre : "sans titre" aucun..... un parc dans lequel on s'est perdu une fois, enfant, avec de sombres dentelles de verdure, des allées de gravier sinueuses en surface et le miroir de l'eau dans lequel se mirent des nuages. De l'autre côté des bois, à peine touchés de jaune, un long ravin dans lequel se penchent des chênes. Pas d'eau au fond, pas de boue : un coulée de terre sableuse couleur de cuir. Le passé.

sous

.




....sous tout ce qui est lisible dans la lumière du jour, que l'air oxyde, vernit, racornit, sous la poussière, sous la peau du monde habituel - si on décolle doucement ; ce qui a été protégé, même de notre pensée.

.......la tension qui sépare l'émotion de l'action, un flux encore sans direction, semblable aux remous sous les cascades, une eau dangereuse, brassée. Parfois on reste pris dans ce qui tourne indéfiniment, toute la force occupée à se maintenir. Mais souvent un canal s'ouvre et alors l'écoulement commence - de plus en plus rapide, huileux.
Dans ce temps très bref, placé au dehors des durées habituelles ou juste à la limite du temps, naît l'action. Et on n'y peut rien.

....les soubassements des creux d'un visage. Ceux des os mais aussi tous les héritages précédant la naissance, et l'histoire aussi des douleurs les plus prolongées, insolubles.

....la fente des paupière décrite de côté, paupières livrant par l'ouverture le feu d'une âme froide, âme d'idole, percevant les débuts et les fins.

....la peau de l'homme très malade, âgé, qui s'assied avec peine ; sous la peau pâle de son dos, la crête mince des apophyses vertébrales, tout à fait droite, parfaite. Son torse émacié, sous un pyjama rouge vif.

....la vision d'une sévère maison de brique pourpre, haute, vue de loin au bord d'un champ. Ses portes et ses fenêtres encadrées et quadrillées de blanc. La ligne du toit, et par cette ligne, ou sous elle, toutes les maisons de ce genre qu'on a vues, perdues dans une incroyable épaisseur de temps. Maisons traversées de jour, de part en part, leur pénombre et leur odeur dès l'entrée. On sent l'épaisseur mélangée de la mémoire - des feuillets dormant sous le moment qu'on vit là, debout et immobile, juste à regarder..

....la nuit opaque et glaciale, de retour de l'aéroport. L'autoroute cernée d'obscurité, dont la neige vient à peine de disparaître ; je pense que c'est une nuit à voir des bêtes engourdies, égarées. Soudain jaillit, très long et très pâle et comme rampant sous la lumière des phares, fulgurant, ce qui me semble être un renard. Une seconde irréelle avant que je ne heurte le renard, (ou qu'un arbre tombe, sans aucun bruit ?).... mais non, rien, tout se poursuit.

lundi 17 janvier 2011

marcher dans le noir

.




dans la maison endormie
descendre l'escalier sombre
baigner dans le noir
où toutes les choses
sont.

sommeil profond d'où je sors,
glisse la soie de ta lumière
comme une lame au milieu.
Que je baigne, que je marche
entourée des choses
que je connais
à demi

glisse ta fine mémoire
dans le rêve de la maison des autres,
dans l'autre maison.

pose ta paume chaude, sommeil profond, sur ma tête
- déplace-moi.

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

à force d'y réfléchir, il me semble que la paix dont je parlais, tient au sentiment de ne pas (re)connaître la maison qui m'entoure (bien que ce soit la mienne). C'est un peu le symétrique d'un sentiment fort que j'avais enfant, devant les fenêtres éclairées des appartements inconnus : que j'avais vécu là, ou que je pourrais vivre là une autre vie que je ne connaissais pas. C'était un sentiment très proche de la magie, mais une magie qui ne serait pas dans les contes, une magie réelle, active, étrange et troublante.






(KOOLHYDRAAT 2, d i v)

samedi 8 janvier 2011

je ne crois pas au temps, je n'y arrive pas.

.


dans le tapis d'herbe dressée
où le cygne nettoie son bec
dans le petit choc répété
de l'eau contre le bord
l'eau comme du miel
jaune, brun et transparent
où un visage s'enfonce.

la mort lui donne une réverbération particulière, sous la surface de l'eau,
caché dans la lumière d'été
vaseuse et douce.
C'est comme s'il savait tout et se taisait.
Au repos je regarde comme il s'enfonce
- dans cette eau jaune cette sagesse,
ce secret.

il est si difficile de faire la part des choses
entre ce que je lui prête
- ma pensée tourne autour de ce visage,
de ces traits absents -
et sa propre pensée repliée dans la mort
derrière ces yeux d'ombre,

cette fine bouche close.

Tu as vécu il y a longtemps
il y avait les choses
telles qu'elles t'apparaissaient,
telles qu'elles se faisaient alors :
tous les goûts de toutes nourritures dans la caverne de ta bouche
ce que tu broyais entre tes dents
les odeurs que l'air déplaçait autour de toi, invisibles
et qui t'atteignaient parfois, t'entouraient, entraient......

et les tissus d'alors
plus raides, rêches, glissants, lourds
plus frais
plus rarement achetés,
avec des noms comme gabardine, pilou.
Bref, la vie un peu différente.
et aussi cette énigme simple : avoir un corps d'homme.

tout cela forme une bulle sans paroi devant laquelle
mon esprit doit s'arrêter
- bulle calme comme l'eau qui noie
de plus en plus profondément ton visage (tu t'éloignes)
et goûte un arrêt du temps, comme une faille.
il n'y a plus rien à prendre ni à vouloir de toi.

et toi,
veux-tu de l'oubli ?



(KOOLHYDRAAT 2, d i v)

mardi 4 janvier 2011

Adieux à un pays

.

I

Nos territoires sont faits de notre vie
ainsi je mesure
dans chaque espace que je parcours encore
(ce dernier été)
les innombrables mois de ma vie, vécus ici.

Ainsi se fondent les buées en strates sous le soleil baissant,
comme se mêlent le sol et l'horizon
ils sont perdus, et présents.

comme s'engrènent
dans les sillons les mouvements de la route, et se dresse
sous le grand fleuve du vent régulier
un arbre, au bord d'un champ ;
comme les arbres si semblables aux nuages
- même forme et même indifférence -
j'ai laissé dans tes creux mon temps, très long.

Des années d'enfants, ce tribut qu'on laisse avec peine
leurs petites peurs et leurs apprentissages,
et les après-midi à deux, errant
de nom en nom de villages, rébus.
les mouvements du corps, le regard cherchant dans le fond du ciel,
et les plongées au fond de combes peuplées d'arbres.
ô herbes, tourbières.

Aujourd'hui la lumière est raide et forte,
d'un vert de paradis soulignant d'ombre
l'endroit et l'envers de tout
et s'allonge
au pied de tout ce qui se tient droit. La lumière
coupe raide le bord des maisons
- éblouissement d'argile ou rougeur
dans l'été qui descend où chaque fleur pose sa note
exacte sur le vert régnant,
sur les pierres.

Dans tout ce qui m'a soulevée, le crépuscule,
les hachures pluvieuses sur les étangs,
les ronds
des gouttes sur le vernis de l'eau transparente
et grise et ce parfum
si particulier derrière les usines en ruine,
dans les écroulement de craie les buddleias.

Il fallait que je garde sur toi mon regard, pays
rester là, de mon chemin un peu bancal
et te connaître (mais pas vraiment connue, éloignée)
l'eau de tes puits tournants, bleu sombre,
garde le vertige du voyageur. qu'il y plonge
la sonde de sa tristesse.

Je pouvais pénétrer sans être là, comme on vit dans la chambre de [quelqu'un d'autre :
sur son dessus de lit on s'étend on allume sa lampe.
Ainsi j'ai plongé mes rames dans ton eau,
effleurant la surface des choses, contournant des îlots
où les roses tombent sans regard pour les voir.

Il fallait rester dans cette fente d'où tout se voit, que je glisse
entre les lieux et les gens
si mêlés ; qu'à rien je ne me mêle
entièrement que je ne laisse rien.

Sinon mon temps, ma vie,
dans chaque page de tes paysages
chaque heure
des jours où tu rassemblais ton vide.
Car chaque pays a son vide
particulier.





II

Pays, où j'erre en esprit
souvent quelque chose m'apparaît,
dissous,
dans le mélange de tes eaux

- malgré la tristesse dont on t'accuse, dont toi-même t'accuses -

alors rien ne vaut pour moi
l'ourlet bruni de tes côtés
tes champs labourés sous les nues.

car rien ne vaut parfois ta pauvreté, ces corbeaux planant en [recherche
les peurs et ces visages pris
dans des filiation brouillées
les mots lâchés malgré soi
dont on est surpris
les longues et râpeuses collines, de craie trempée -

les ZUP établies sur rien.

des maisons de brique sanguine, sans ornement
en files dans les villages
sous le grand ciel bleuissant du soir
et au flanc de falaises penchées, des pâtis
d'herbe pelée et de fleurs rares, minuscules.

Pays traversé de passages et de guerres
aux grands arbres dressés :
racines pendant de la voûte des souterrains si vieux
si profonds et ramifiés pour disparaître.
J'aurai senti de loin
la désolation de tes cimetières de guerre
incongrus et laids posés sur les plaines,
mathématiques,
l'identité dissoute des pauvres hommes morts expatriés dissous
(où sont ceux qui vous ont si longtemps cherchés ?)

je ne voulais pas voir ça
ni y penser
mais lire les traces,
dans la terre et dans les âmes
des exodes révolus.





III

De lourds rideaux invisibles, joignant la terre au ciel grand-ouvert, les étangs opaques qui montent avec tous leurs miroirs et leurs oiseaux plongeants, pour se fondre dans l'aile gazeuse des nuages. Réverbérations et vibrations, éclats soudains, dans la pression de l'été. Comme des anges volant à mi-hauteur de tout, soulevés par l'odeur de blés dressés, multitude muette redoutant l'orage
approchant

même éclat de miroir, diffracté sous le soleil blanc et froid d'octobre, qui longe les lignes des sillons, petites vallées déversées, tranchées, scarifications. Toute cette violence mobile, non-violente, de ce qu'on appelle saisons, révolution comme notre sang pulsé et revenant, du début à la fin d'une éternité illusoire.
La vase glissante
la terre la craie, l'eau.
Le monde végétal. apparaissant, disparaissant.
 
Derrière chaque motte de terre tranchée et retournée
derrière chaque oiseau
atteint par sa mort loin de tout regard.
derrière chaque nuage développant ses orbes vers l'infini et sans [l'atteindre,
derrière chaque square au sable imbibé, pluvieux, désert
- derrière toi -
quelque chose se scinde et murmure,
touche mes mains.

Moi qui ne t'ai pas caressé, ni soupesé, ni enveloppé
qui ne t'ai pas tracé de l'ongle,
moi qui ne te reste pas, qui n'ai en toi aucune racine, ni prise
je sais la chaleur qui demeure à l'intérieur,
la fracture des silex.

Ainsi, pays toujours échappant, toujours changeant et muet,
par ces années passées collées contre ton dos
j'ai compris que je n'étais qu'une demi-chose,
et j'ai attendu le retour
(ou l'avènement) de moi
ta voix en moi.


Car c'était un long voyage que tu faisais,
de ma source tourbeuse à la mer, malgré le peu de kilomètres,
et les plages de vase et de sable à l'arrivée,
tu as fait de moi
une tranche de pain jetée
dans le gris de l'eau,

dont je t'ai nourri.